On a coutume de parler des trains qui arrivent en retard plus que de ceux qui arrivent à l’heure. Ce phénomène tout à fait humain prend au Maroc des couleurs particulières. La critique légitime, objective, qui correspond au réel est récupérée par la voix des névrosés, des illettrés, des suiveurs, des sans opinions. Produisant de l’énergie négative, celle de l’insatisfaction, de la plainte narcissique infantile, du dénigrement constant.
On doit se méfier de l’effet « papillon » qui nous donne l’impression que rien ne fonctionne convenablement. Se méfier de la puissance de la parole. Le manque de congruence lorsqu’il atteint un niveau important ne peut pas être fécond dans le bon sens.
L’acte de langage précède et détermine l’acte de faire. C’est en effet par la parole que l’on réfléchit et que l’on prend les décisions avant de passer au fait.
La discorde entre ces deux actes peut impacter sur le bon sens des actions à mener. Pire, elle peut être déroutante ou destructrice. Ne dit-on pas « se mentir à soi-même » à propos d’une personne qui ment systématiquement ? Se construire psychologiquement sur le mensonge, c’est comme si on intégrait en nous des données fausses, puisque mensongères, que l’esprit doit analyser et prendre pour des vérités. Les conséquences sur le plan psychologique peuvent être fâcheuses. Il se crée en effet en nous un désordre intérieur qui peut nous jouer de sacrés tours. Une schizophrénie qui semble être bien maîtrisée donne lieu à des discours trompeurs. Des discours qui rationalisent l’aspect négatif des émotions et véhiculent comme des expressions névrotiques.
Comment peut-on être crédible ou pris au sérieux en tant que citoyen si notre parole ne correspond pas ainsi au réel ? Et si notre parole n’est pas pesée ?
L’entente avec la collectivité est également impactée à cause de ce manque de congruence sur le plan personnel. Il est difficile dans ce cas d’affirmer fermement sa citoyenneté.
Le verbe « penser » en latin « peser » nous renvoie à des expressions populaires marocaines connues et tout aussi significatives : parole pesée, parole posée, parole raisonnée, parole incendiaire, parole vide, parole négative.
Le locuteur marocain se met les bâtons dans les roues lui-même en créant la discorde entre l’acte du langage et le projet à mener. Sa parole est diminuée « naqssa », elle en fait un citoyen diminué et par conséquent sa citoyenneté ne peut être que diminuée. Il est donc faillible par rapport à la Cité et par rapport même à la spiritualité de sa religion dont les textes sont fondés sur « al hikma » (la sagesse) et sur « al calame attaib » (la parole positive). Etre reconnaissant vis-à-vis des aspects positifs pour mieux faire entendre sa critique. Se relier à l’autre à travers une parole constructive aurait même un sens religieux comme le veut la conception latine de la religion « religare ». De la foi doit émaner un esprit d’une citoyenneté constructive pas l’inverse.
Le mouvement émergent que connait le pays a besoin d’être accompagné de discours positif. Un discours que les institutions se doivent de construire objectivement et savoir communiquer aux populations.