Salon littéraire à Marrakech

Le premier salon littéraire à Marrakech est tenu depuis 2005 par une femme, issue d’une famille de lettrés et d’artistes, connus dans la ville ocre.

Professeure de littérature anglaise à l’université Qadi Ayyad, elle tient à ce que des étudiants participent aux échanges au même titre que des universitaires, des écrivains ou des artistes. Ils sont en effet reçus chez elle dans un cadre somptueux digne de ceux des Mille et une nuits, dans un immense salon marocain où les styles oriental, occidental et africain se côtoient en parfaite harmonie.

Madame Laila Bine Bine semblait une fée pour ces étudiants venus d’Afrique subsaharienne, des provinces reculées du Sud du Maroc, de milieux très modestes, en leur permettant de vivre des moments exceptionnels. Ils sont mis en avant après l’invité d’honneur.

La tradition aristocratique de la bienséance des salons français du XVIIIe siècle est respectée mais avec un esprit plus décontracté et plus moderne. C’est ce que semble vouloir incarner la maîtresse de cérémonie en troquant ses tenues de grande dame habituelles contre un blue-jean et un pull bleu col V qu’une chaîne fine en or vient discrètement illuminer.

Sa joie, sa générosité, son rire communicatif, se rajoutant à la magie du lieu, ne nous  ont pas laissés indemnes.

Joie particulière pour recevoir un écrivain particulier, le Marocain Abdelfattah Kilito, en présence de l’académicien Jean-Noêl Pancrazi et du romancier My Seddiq Rabbaj.

Dans son roman Par Dieu, cette histoire est la mienne , A. Kilito donne une version nouvelle de l’histoire des Mille et une nuits, qui interpelle celle du lecteur par son universalité et l’enchevêtrement de plusieurs histoires.

Sa parfaite maîtrise de la langue française et l’originalité de son approche romanesque lui ont valu le prix de l’académie française du rayonnement de la langue française en 1996, des missions d’enseignement au Collège de France, à l’université de Princeton et d’Harvard. Professeur émérite à la Faculté des lettres à Rabat, il a eu d’autres prix décernés par l’Etat marocain.

Sa connaissance de la littérature arabe classique, son écriture bilingue lui permet de faire vivre l’imaginaire arabophone, riche, que beaucoup d’écrivains d’expression française refoulent ou méconnaissent, se privant de tout un univers pittoresque et humaniste hautement stimulant. Il semble ainsi retrouver son équilibre culturel à l’instar d’un Kafka dont il emprunte le titre du roman Je parle toutes les langues mais en arabe .

Ses lectures de Al Jahiz, Al Maari, Al Hammadani, Al Hariri, Al Moutanabi l’ont façonné comme il le dit lui-même dans Le cheval de Nietzsche et le font compter parmi les écrivains de la modernité comme Joyce, Kafka, Borges et bien d’autres qui n’ont pas manqué de le  passionner.

Nous étions émus par sa présence et touchés par la subtilité de son humour.

Et pour clore la soirée, quoi de mieux que le chant andalous de Ilham, qui nous a envoutés telle une Shéhérazade.

Madame Laila a fait venir Ilham de Zagora (province du sud) à Marrakech dans le cadre de son association pour la scolarité de la jeune fille rurale , et hébergée dans l’internat (Dar Taliba) de Sidi Youssef Ben Ali.

C’est énorme pour cette jeune fille qui est, comme par hasard, étudiante dans l’université où j’enseigne. L’émotion atteint son comble pour moi qui rêvais, étant jeune étudiante en littérature française, des salons du XVIIIe siècle et fascinée par le pouvoir des femmes cultivées de cette époque.

La réplique de Madame Laila est d’un autre style qui m’a renvoyée, personnellement, à l’époque des déesses orientales, aux temps des Sumériens dont on peut également s’inspirer pour renouer avec les Lumières du passé. Ces Sumériens qui nous ont fourni le premier exemple de femme auteure, il y a 4300 ans, la fille du roi Sargon, une prêtresse qui s’appelait Enheduanna. En atteste un texte sur des tablettes en cunéiforme qu’elle adressait à la déesse de l’amour Inana.