Le salon de Laila Bine Bine a reçu vendredi dernier l’écrivaine et poétesse Hafsa Bekri Lamrani pour son roman autobiographique  Et pourtant elle rêve. Elle y raconte l’histoire d’une petite fille arrachée à sa famille à l’âge de trois ans au Maroc pour être donnée à une tante « stérile » en Algérie. A ce double trauma se rajoute la maltraitance et le désamour de cette  parente acariâtre.

A 10 ans, Halima rejoint ses parents à Marseille et profite de la douceur d’un père spirituel musulman. Elle retourne ensuite à Rabat à 14 ans, puis en France, à Paris, où elle finit ses études, se marie et rentre définitivement au Maroc.

A travers ce parcours, l’autrice aborde des thématiques universelles et toujours d’actualité. D’abord, l’absurdité de donner son enfant à une autre famille comme si c’était un objet. Nous y voyons une critique claire de la culture traditionnelle tout comme le mariage de la grand-mère à l’âge de 12 ans (début du 20eme s.).

Ensuite, le déracinement de la femme incarné par ces deux personnages.

Quant à la blessure  (originelle et existentielle) de la femme, elle est mise en parallèle avec celle d’une terre agressée par la guerre, violée comme dans le roman de Harrouda de Tahar Benjelloun.

La fragilité de la femme est également mise en lumière chez ces personnages féminins y compris Zahra, enfant aimée et protégée de Halima devenue professeure et femme active.

Enfin, la guerre et sa violence, celle d’Algérie provoquant le suicide en masse de femmes algériennes, un soldat qui tue une petite fille sortie pour une course ; celle du Vietnam, celle du Golf, celle de la Palestine à travers le massacre inouï de Sabra et Chatilla, celle de Troie pour rappeler que l’époque des guerres n’est pas révolue.

La narratrice a fait preuve de résilience en se réfugiant dans la lecture et le rêve. Devenue adulte, elle est, en effet, optimiste, militante, féministe, cultivée. Elle a fructifié les moments de liberté vécus à Paris à partir du jour où elle a eu une chambre à « soi » comme l’une de ses écrivaines préférées (V. Woolf). Elle n’a pas manqué de lancer l’idée de la sororité entre femmes marocaines et femmes algériennes.

Hafsa Bekri Lamrani est angliciste, francophone et arabisante, originale, drôle, ne tarit pas d’anecdotes historiques succulentes comme l’évasion de prison de 60 femmes algériennes arrêtées, par l’armée française, en utilisant leurs haiks ! Elles avaient trouvé refuge au Maroc où elles étaient reçues comme des héroïnes par le roi Mohamed V dont on connait le soutien pour l’indépendance de l’Algérie.  Une belle inspiration romanesque.

Nous étions, toutes, charmées par cette « bonne femme », Rock’n Roll, sous ses airs de poétesse et d’écrivaine conservatrice. Elle est marquée et impactée par l’intelligence  et la philosophie d’une mère « analphabète » dont elle souligne l’importance de la culture à tradition orale et la supériorité par rapport à beaucoup de femmes modernes dites cultivées.