Le salon Bine Bine a reçu, le 24 avril 2024, la militante féministe Nouzha Guessous. En tant qu’universitaire et chercheuse en bioéthique et droits humains, elle a participé à la commission royale de la révision de la Moudawana (code civile du droit de la femme).
Le livre, qui est un récit-essai autobiographique intéresse autant les gens de lettres que ceux qui désirent comprendre les coulisses d’une Moudawana contestée encore aujourd’hui par les savants religieux et toute la frange conservatrice de la société.
Pour ma part, je me suis intéressée à l’aspect romanesque du récit sans manquer de saluer le courage de la mise à nu (souligné également par Driss Ksikes dans sa préface) d’une femme, sexagénaire, dans un pays où la culture du voile, de la pudeur à l’ancienne, de « lahchouma » domine encore.
L’originalité, à mon sens, réside dans le recours à la mythologie orientale quant au choix du titre pour introduire son histoire. Une mythologie riche dont les Grecs se sont inspirés en Egypte et en terre d’Orient.
La narratrice s’identifie en effet à la huppe et inscrit elle-même explicitement son histoire dans l’universel en assimilant toutes les femmes à cet oiseau mystérieux. Dans le Coran, la huppe est le messager de Salomon, indépendant d’esprit, qui a eu le courage de sortir des rangs de « l’armée de l’air » pour aller prospecter seule et a réussi à dénicher des informations précieuses sur le royaume de la reine de Sabaa. Sa mission est spirituelle puisqu’elle a permis la conversion au monothéisme de tout un pays qui vénérait le soleil.
L’histoire de Soulaymane et de la reine Belqis porte un sens intéressant pour ce qui concerne le rapport homme / femme car ils sont mis à égalité puisque l’un et l’autre sont rois, ayant chacun un royaume et un trône puissants et dispose, chacun, d’une huppe comme porte parole. Et la liaison entre eux a été assurée par ce type d’oiseau, le plus fidèle en amour, ayant la notion du couple comme le corbeau et le jardinier, et ne peut disposer toute sa vie que d’une seule partenaire.
La huppe est une incarnation spirituelle comme dans Le cantique des oiseaux de Jalal Eddine Al Attar ou l’oiseau Bâ égyptien qui est l’âme du dieu Rê, dit également le Bénou, devenu le Phénix des Grecs. L’oiseau Bâ est une espèce de héron ayant vécu dans la colline (ou sur les pierres) dite Ben Ben بن بن où est apparue la première vie sur terre selon la mythologie arabe. C’est lui qui renaît de ses cendres et vit trop longtemps comme un esprit. Nous avons également, le pigeon qui était le symbole de la déesse Inana en Mésopotamie (Irak) et de la déesse-mère cananéenne Ashera عشيرة . Les oiseaux ont également des ailes comme les anges. Ce sont des messagers qui assurent la communications entre le divin et les humains.
La huppe est l’oiseau talisman, protecteur, l’oiseau magique, signe d’intelligence et de grande sagesse الحكمة, qui bénéficie d’une nomination hautement symbolique : Al houdhoud. D’abord, il est masculin, relié à la dimension masculine du divin. Il renvoie à la belle touffe de plumes qui le singularise et tire son sens du champ sémantique de la guidance : Al hidaya الهداية , hada هدى , mahdi مهدي , hadye هدي , hoda هدى , hadi هادي … avec la lettre centrale le /h/, qui renvoie à Dieu par excellence selon les grands maîtres soufis.
Devant toute cette symbolique sacrée du houdhoud هدهد , on ne peut qu’être étonné de ce qui a été dérivé de l’onomastique de cet oiseau en français. Du mot latin upupa et de l’onomatopée « houp-houp-houp » imitant son chant, et du fait qu’il se nourrit de vers, d’insectes et de larves, il a été considéré comme un animal sale et traité de « sale huppe » donnant lieu à la violente insulte à l’endroit de la femme avec toutes les connotations morales péjoratives qui s’en étaient suivies : « salope » !
On est bien loin de ces considérations avec le choix de Madame Guessous et de l’image qu’elle nous présente de la femme dans son récit. Notre houdhoud est archi sublimé et sacralisé d’autant plus qu’il détient le secret de la connaissance (sourate la fourmi). C’est l’oiseau le plus huppé.
Autre assimilation spirituelle de la femme tout aussi significative est celle de la mère de la narratrice avec ses « dix » commandements. Ils sont quatre en vérité et nous révèlent une femme qui détient l’autorité, qui légifère pour sa fille et lui sert de mentor s’imposant dans l’histoire comme étant une féministe affirmée malgré qu’elle soit non alphabétisée et femme au foyer. Elle est, en effet, maîtresse et reine chez elle, celle qui fait la loi, capable d’imposer à des chercheurs américains (p.69) d’entrer dans sa maison les pieds nus, tenant leurs chaussures à la main comme on entre dans une mosquée, comme au temps du matriarcat où la mère était une déesse et la demeure un temple « bitou » بيتو . Une époque révolue et effacée avec le système patriarcal mais nous en gardons encore des vestiges dans notre culture.
Le Fès raconté est celui des années 1960, d’une famille de notables, traditionnelle, où un père affectueux, figure de résistance, règne sans partage et une mère, résignée, gouverne comme dans beaucoup de foyers. La narratrice s’inspire de leurs bons sens et de la sensibilité de ses frères : le rossignol qui excellait dans le chant égyptien classique et le frère-passeur, celui qui l’a aidée à partir étudier en France et entamer son émancipation et son parcours de femme militante. On peut ici rappeler et même rendre hommage à tous les frères de cette génération qui ont contribué à la libération de leurs sœurs du joug de la famille traditionnelle en leur facilitant l’exil en Europe pour finir leurs études.
Enfin, nous soulevons dans le mythe du houdhoud, la question du rapport au père, à Dieu-le père à travers la légende du cadavre du père porté sur sa tête en guise de punition d’une faute inconnue. On peut y voir un drame comme un bonheur voire un honneur, si l’on se situe d’un point de vue spirituel. Dans ce cas, le houdhoud serait l’oiseau béni ayant eu la chance de garder son père auprès de lui, en lui, celui-ci l’a, à son tour, auréolé en modifiant sa chevelure et en lui conférant la forme d’une auréole. Il est perçu ainsi par les Egyptiens.
Pareillement que la femme, accusée du péché originel dans la Bible chrétienne, laquelle doit, à mon sens, vivre sa nature de femme comme une sélection naturelle – divine – heureuse puisqu’elle donne la vie, l’amour, l’affection et assure une mission hautement spirituelle. Une mission qui lui vaut d’être belle et distinguée comme le houdhoud.
Dans une autre légende, le houdhoud porte sur sa tête ses deux parents et est ainsi vu comme celui qui les vénère. Il devient le modèle de l’amour inconditionnel de ses géniteurs العصفور البار caractéristique dans notre culture.
Je ne finis pas ma lecture sans m’ arrêter sur l’image de la bouteille d’eau de fleurs momifiée comme une reine (reine-déesse) égyptienne, produit de la pratique ancestrale de la distillation des fleurs, conservée dans nos anciennes villes depuis l’époque des Sumériennes en Irak, depuis au moins quatre millénaires. Toute la spiritualité de la femme orientale est là-dedans car ce genre de préparations, tout comme l’art culinaire, avaient une dimension sacrée puisqu’elles étaient considérées comme inspirées des déesses et devaient se tenir pour elles. Des préparations hautement sacrées.
Sur cette touche de spiritualité, je pose la question du type de féminisme de la femme marocaine, qui est, à mon avis, différent de celui des Françaises ou des Anglaises par exemple, parce que nous sommes encore proches de cet héritage traditionnel, de cette culture millénaire. En outre, le rapport à l’homme est différent, au père, au frère, et même au divin.
Serions-nous dans le cas d’un féminisme spirituel ?! Qui allie modernité et tradition ?