Un mal pour un bien

Dans ces temps difficiles de confinement, pleins d’inquiétude, la nomination de Moncef Slaoui par Donald Trump comme directeur scientifique du groupe « Operation Warp speed » vient nous réconforter en nous donnant l’espoir de développer un vaccin contre le coronavirus. Une mission doublement prometteuse pour les Marocains qui se verraient débarrassés de l’épidémie et flattés au fond d’eux-mêmes.

Mais, disons-le, cette actualité nous bouleverse. Cette fois-ci, au-delà du désir de l’identification à cet éminent savant, on a presque envie de dire « On est tous des Moncef Slaoui ! ».

La preuve que cet homme n’est pas qu’une pure intelligence. C’est son humanité qui nous renvoie ainsi à nous-mêmes, suscitant la réflexion sur nos capacités et sur le génie de notre pays. Et la colère monte. Le succès de ce monsieur nous rend fiers et en même temps provoque en nous de l’amertume. Il a réussi à faire émerger une prise de conscience presque collective du gâchis en quelque sorte de notre potentiel. Les voix s’élèvent, indignées, contre le manque de moyens….l’éternel reproche des Marocains vis-à-vis de l’Etat.

Monsieur Slaoui, c’est d’abord une famille éduquée, généreuse, organisée et travailleuse. Une famille intelligente dans tous les sens du terme. Sa sœur Hadia, universitaire diplômée d’un doctorat d’Etat en linguistique, était ma professeure à la Faculté de Ben Msik de Casablanca. Elle était pour nous (mes camarades et moi-même) un modèle d’éducation autant qu’une figure intellectuelle. Il faut reconnaître que cette famille a donné également au Maroc deux médecins spécialistes. Et ce que beaucoup considèrent, dans l’émigration de ce compatriote, une perte est plutôt un gain énorme.

Derrière les lamentations pour ce refugié scientifique, il y a la désolation, à juste titre, du manque d’intérêt pour les hauts niveaux scientifiques et intellectuels.

Mais au-delà parfois des précautions politiques pour préserver la stabilité du pays, le phénomène de ces « fuites de cerveaux » est au demeurant socioculturel. En effet, avec un taux d’analphabétisme et d’illettrisme élevé et une culture traditionnelle qui ne favorise ni le travail d’équipe ni le sens de la collaboration ni celui du partage de l’information et encore moins le sens de la démocratie et de l’intérêt général. Ce système entretient la corruption et le communautarisme primaire qui vont à l’encontre de l’intérêt de la Nation. De ce fait, l’argent de la recherche enrichit le milieu universitaire qui compte en son sein des corrompus comme dans n’importe quel autre milieu. Se rajoute à cela un rapport au temps et au travail loin d’être toujours conforme aux temps modernes. Il est indéniable également que le lien à la famille ne laisse pas de place pour le pragmatisme : la famille Slaoui, elle, semble préférer l’épanouissement professionnel au détriment de la proximité familiale.

 

 

Si Moncef Slaoui était resté au Maroc, il ne volerait pas au-dessus de ses frères et sœurs car le niveau du Maroc ne le permet pas ni pour des raisons politiques ni pour des raisons matérielles.

Chaque pays a son génie et son seuil d’intelligence générale c’est-à-dire des moyens et des possibilités déterminées en fonction de son niveau de scolarisation et de sa capacité à produire (industrialisation). Le Maroc n’a ni les moyens ni la culture du travail des Américains qui ont conduit la révolution industrielle et ont fait entrer le monde dans la modernité. On peut exiger de notre pays de mieux faire mais on ne doit pas s’attendre qu’il ait les moyens de pays du calibre des USA. C’est une chance pour nous que ces puissances accueillent nos génies. Cette circulation – et non fuite – des cerveaux est un phénomène universel. L’Histoire nous montre que de tous temps les humains dotés d’intelligence supérieure s’orientent vers les pays qui offrent les meilleurs moyens d’épanouissement. Les civilisations avancées ont toujours accueilli des étrangers en quête de la science : Babylone, Athènes, Alexandrie, Rome, Bagdad, Fès, Paris, Londres, USA ….

Il faut, en revanche, noter que la famille Slaoui nous rappelle que notre pays arrive à produire une élite savante malgré des données socioculturelles défavorables (analphabétisme, traditionalisme …).

C’est l’occasion de penser sérieusement à capitaliser nos intelligences … Le Maroc et les Marocains le méritent.